Les étudiants ne lâchent rien : «Ni Boutef ni Toufik…»

Fuente: 
El Watan
Fecha de publicación: 
03 Abr 2019

Ne pensez pas que les vacances nous ont affaiblis, au contraire». Cette pancarte brandie par un étudiant résume bien l’esprit des manifestations estudiantines d’hier.

De fait, les vacances universitaires n’ont pas empêché les étudiants d’honorer leur rendez-vous hebdomadaire, comme tous les mardis, et de battre le pavé à Alger par centaines pour dire clairement ce qu’ils pensent aux démiurges du régime.

Les manifestants ont occupé la place Audin, les abords de la fac centrale et la Grande-Poste, puis ils ont, comme à l’accoutumée, fait une boucle en remontant vers l’avenue Pasteur, via le boulevard Khemisti, puis ils ont continué en direction de la place Audin à travers le Tunnel des facultés, avant de poursuivre leur marche jusqu’à la Grande-Poste.

L’une des images les plus impressionnantes des manifs d’hier est cette immense carte de l’Algérie déployée par plusieurs étudiants, avec ce slogan : «Djazaïr horra dimocratia». Côté pancartes, les messages ne souffraient là aussi d’aucune ambiguïté : «On refuse le gang et on refuse ses solutions», résume l’une d’elles.

On pouvait lire aussi : «Etudiants en colère, on refuse le nouveau gouvernement. #Yetnahaw_Ga3 !», «L’étudiant veut que le pouvoir revienne au peuple», «Ne jouez pas avec les revendications du peuple», «Certains ont entendu que la patrie est chère alors ils l’ont vendue», «La bataille du changement continue»…

«La Bouteflika, la Toufik, rana k’rahna m’etnoufiq»

Durant leurs processions, des banderoles étaient solennellement mises en avant par les carrés d’étudiants : «Le peuple veut diriger son gouvernement de transition et former son assemblée constituante» ; «Les étudiants pour une République novembriste non une monarchie»… Une autre proclamait : «Majeurs vaccinés, bientôt diplômés, à nous de décider».

Une bannière déclinée en anglais adressait ce message incisif : «If you don’t respect my existence, expect my resistance» (Si vous ne respectez pas mon existence, attendez-vous à ma résistance). Une étudiante a customisé le slogan de campagne de Trump : «Get out ! Let us make Algeria great again».

Dans le registre humoristique, nous avons repéré cette pancarte signée Y. Issiakhem, qui a adapté la fameuse chanson L’Encre de tes yeux de Francis Cabrel ainsi que son autre chanson à succès, Je l’aime à mourir, et ça donnait : «Il a bâti des ponts entre nous et Genève, mais il ne veut pas guérir, ne veut pas guérir, laissez-le mourir…»

Le tout «frais émoulu» gouvernement Bedoui a été dézingué : «Hchouma machi houkouma» (C’est une honte pas un gouvernement), tonne une pancarte signée «Université de Tipasa». «Houkoumate Bedoui la hadath» (C’est un non-événement), renchérit un autre écriteau.

Un étudiant muni d’un mégaphone entonne : «Dégagez ! Dégagez ! La li houkoumate el montage» (Non au montage gouvernemental). S’exprimant sur le dernier feuilleton à rebondissements, celui de la fameuse réunion secrète dénoncée par AGS, là encore, les étudiants ont frappé fort.

Sur l’une des rares pancartes où le nom de Toufik est (enfin) apparu, on peut lire : «La Bouteflika, la Toufik, rana k’rahna m’etnoufiq» (Ni Bouteflika ni Toufik, y en a marre de votre duplicité).

L’auteur de ces mots percutants ajoute : « Ni ce régime ni l’Etat profond. On veut que le changement soit une réalité». Les chaînes Ennahar et Echorouk n’ont pas été épargnées non plus : «Ennahar de Saïd VS Echorouk de Gaïd. Echaâb : Yetnahaw Ga3 !» écrit un manifestant en ajoutant : «Non à l’abêtissement», renvoyant les deux chaînes dos à dos.

Le thème de la justice et la poursuite de figures du sérail était également présent : «Ya wouzara, ya nouwab, qad hana waqt el hissab» (Ministres, députés, l’heure est venue de rendre des comptes), clame un slogan.

«Ni Gaïd Salah ni BenSalah»

Si la foule a répété à plusieurs reprises : «Djeich-chaâb, khawa-khawa» (Peuple-armée, tous des frères), toujours est-il que le général Ahmed Gaïd Salah en a pris pour son grade. «Pouvoir au peuple, ni Gaïd Salah ni Bensalah, rana habbine hakem salah» (on veut un dirigeant honnête), assène une pancarte. «Gaïd Salah a activé l’article 102, le peuple a activé l’article 2019. Ils partent tous !», a tranché un manifestant.

Sur les marches de la Grande-Poste, plusieurs citoyens, étudiants et non-étudiants se sont massés pour scander ensemble des slogans antisystème. Un homme manifeste avec son fils en écrivant : «Pour l’avenir de nos enfants, libérez l’Algérie».

Dans le lot, il y avait aussi des banderoles brandies par d’anciens appelés durant la décennie noire. «Coordination des anciens maintenus 92-96, décennie noire, wilaya de Tissemssilt», indique l’une d’elles.

Des supporters du Mouloudia et du CRB ont créé une superbe ambiance, fumigènes à l’appui. «El Bled bladna we n’dirou rayna» (Ce pays est le nôtre et nous ferons ce qui nous plaît), «Rana s’hina, bassitou bina» (Nous sommes réveillés, on ne vous lâchera pas), «Koul youm massira, maranache habssine», (Chaque jour une manif’, on ne s’arrêtera pas), chantent les jeunes manifestants, exaltés. A un moment, tout le monde répétait l’incontournable «La casa d’El Mouradia».

Autre moment fort : on scandait sous l’impulsion des jeunes supporters endiablés : «Miziria, tahya el Djazair !» Chair de poule….
Dressé en marge de la foule, Omar, 22 ans, étudiant en mathématiques à la fac centrale, a été de toutes les manifs. Il explique sa position : «Il faut que la transition se fasse sans eux.

C’est le peuple qui doit la mener. On a vu que Bouteflika part, ça y est, après, ils vont ramener quelqu’un de son clan.» Au sujet du nouveau cabinet Bedoui, Omar analyse : «C’est un gouvernement dont les membres sont inconnus au bataillon (…). Même moi, je peux devenir ministre dans ce cas-là. Nous, on dit que le gouvernement doit être l’émanation de ce mouvement et sous le contrôle du peuple.

Il doit être formé de gens qui ont émergé de ce mouvement, il y a des noms connus de tous qui se sont imposés, il y a des compétences reconnues. Nous avons des ”têtes” qui ont été forcées à partir à l’étranger à cause de ce régime, il faut les solliciter. Avec Bedoui, ça va se jouer entre eux.

Bedoui et Boutef c’est pareil. Ils vont faire une élection présidentielle sur mesure parce qu’ils contrôlent tout. C’est pour ça qu’il faut poursuivre les manifs hatta yetnahaw ga3 ! Moi, je manifeste tous les mardis et tous les vendredis, et on ne va pas arrêter.»

Bilal, étudiant en écologie végétale et environnement à l’USTHB (Bab Ezzouar), insiste : «Il faut que les gens sachent que les étudiants bougent. Ils agissent, préparent, analysent… Ils viennent de partout pour travailler ensemble, et inch’Allah, il y aura un résultat à la hauteur de nos attentes. On se rencontre presque tous les jours, on organise des débats…

D’ailleurs, il y a un débat qu’on va faire cet après-midi (hier, ndlr), près de la Grande-Poste. On ne va pas céder. On va nettoyer tout ce système.»

Source: https://www.elwatan.com/edition/actualite/567444-03-04-2019