Bilan. Quel bilan pour Benkirane ?

Fuente: 
Telquel
Fecha de publicación: 
31 Mar 2014

Etat des lieux. Le gouvernement, aujourd’hui à mi-mandat, a-t-il tenu ses promesses ? Mustapha El Khalfi répond par l’affirmative et admet quelques difficultés, tandis que Mehdi Mezouari pointe une série de défaillances.

Dans quelques semaines, le Chef du gouvernement est attendu au parlement pour faire son bilan de mi- mandat et présenter les grandes lignes de son programme pour les deux ans et demi à venir. Cela promet de houleux débats au sein de l’hémicycle et dans les colonnes de la presse. Nous avons choisi d’en donner un avant-goût avec deux voix de la majorité et de l’opposition, sur des questions aussi sensibles que le volet des réformes, l’équilibre des pouvoirs et la lutte contre la corruption. 

A mi-mandat, peut-on dire que le bilan du gouvernement est satisfaisant ?

Mustapha El Khalfi : Le bilan est globalement positif. Cela ne veut pas dire que nous avons répondu à toutes les grandes attentes des Marocains. Mais il y a eu des réalisations qui ont eu des répercussions directes sur les citoyens, l’entreprise et l’attractivité du pays à l’international. Je ne citerai que la décision de revoir à la hausse le montant minimal des retraites qui a bénéficié à 10 500 personnes et la baisse des prix de 320 médicaments en attendant d’en faire autant pour 800 autres. Nous avons aussi relancé plusieurs réformes qui étaient à l’arrêt, comme les réformes fiscales et les réformes des finances publiques.

Mehdi Mezouari : Il y a un problème d’approche et de démarche. La réforme n’a jamais été un menu à la carte et ce gouvernement, ou du moins le parti qui le dirige, a péché par les grands effets d’annonce. Il y a plus d’un an, les gens ont commencé à ouvrir des comptes bancaires pour recevoir des aides directes et c’était se jouer des sentiments et de la pauvreté des Marocains. La réforme n’a jamais non plus signifié une série de mesurettes. L’indexation partielle des prix ne résoudra jamais le problème de la Caisse de compensation. Et, en général, quand on veut se lancer dans les réformes, il faut s’attendre à en payer le coût en termes de popularité.

M.E.K. : Nous avons pris de douloureuses décisions, quitte à ce que notre popularité en prenne un coup. Nous avons dit non à l’intégration directe dans la fonction publique et, en 2013, 400 000 diplômés ont passé des concours. Nous avons aussi décidé le prélèvement sur les salaires des grévistes, selon des principes universellement admis.

M.M. : Mais il faut au moins être franc avec les Marocains. Quand vous dites avoir réussi à ramener le déficit à 5,5% du PIB en 2013, vous n’avouez pas que c’est grâce à deux coupes budgétaires et non à la relance économique.

Pourquoi la corruption semble-t-elle être un phénomène insurmontable ?

M.E.K. : C’est vrai que sur ce point, ce qui a été réalisé est en deçà des espérances. Mais il y a toutefois eu des acquis. Des dizaines de dossiers ont été transférés à la justice sur la base des rapports de la Cour des comptes. Les sanctions contre les juges sont désormais rendues publiques et le système gouvernemental de la e-réclamation commence à porter ses fruits. Aujourd’hui, le ministère de la Justice reçoit chaque jour au moins deux plaintes émanant des entreprises, des étrangers et des MRE et il les instruit toutes. Sauf qu’encore une fois, ces mesures restent insuffisantes.

M.M. : Je pense qu’au lieu des fameuses listes sur les carrières et les agréments de transport dont on nous a longtemps bombardés, le gouvernement aurait dû procéder à une sorte d’opération chirurgicale dès 2012. Le Chef du gouvernement est-il capable de demander à son ministre de l’Agriculture et de la Pêche de publier la liste des bénéficiaires des licences de pêche en haute mer ? J’en doute fort. Dans le Maroc d’aujourd’hui, les lobbies de l’immobilier sont ceux qui établissent les plans d’aménagement. C’est le plus grand point noir de la corruption. Le Maroc n’est plus une exception comme on veut nous le faire croire.           

Pourquoi les grands choix stratégiques restent-ils toujours l’apanage du Palais et de l’entourage du roi ?

M.E.K. : Nous travaillons selon une nouvelle logique politique. Comme l’a exprimé à maintes reprises le Chef du gouvernement, nous ne sommes pas là pour entrer en confrontation avec la monarchie, mais pour travailler en partenariat avec toutes les institutions. Le Maroc n’a pas connu de révolution comme dans d’autres pays, mais il y avait une volonté commune de réussir les réformes. Nous sommes aussi un gouvernement politiquement responsable et, pour la période écoulée, le Chef du gouvernement s’est présenté 19 fois devant le parlement pour s’expliquer sur les politiques publiques.

M.M. : Abdelilah Benkirane vient au parlement pour d’autres raisons et nous sert des discours de précampagne électorale. Je ferme cette parenthèse pour dire qu’il n’y a pas d’équilibre entre les institutions. Contrairement à ce que dit la Constitution, le Chef du gouvernement a préféré se débarrasser de certaines prérogatives importantes au profit du Palais. Nous l’avons constaté à l’occasion de l’adoption de la loi organique sur la nomination aux hauts postes à responsabilité. Mais il y a pire. Je ne parle pas de la première équipe, mais de la deuxième qui a été inondée de technocrates alors que nous rêvions d’un gouvernement politique.

Pourquoi le gouvernement tarde-t-il à voter les lois organiques prévues par la Constitution ?

M.E.K. : Les lois organiques sont l’affaire de tout le monde et ne sauraient obéir à une logique de supériorité numérique, mais de coopération. Le ministre de la Justice a soumis pour consultation deux projets de lois organiques avant de les retirer après les remarques des intéressés. Il aurait tout simplement pu les imposer. Jusqu’à cette date, nous avons adopté, par consensus, quatre lois organiques et nous prenons notre temps pour retenir les dispositions qui vont dans le sens de l’intérêt général du pays. C’est ce qui fait que cela nous prend plus de temps.

M.M. : Personne ne peut nier que la Constitution a été élaborée avec la participation de tout le monde. Mais l’adoption des lois organiques, qui représentent environ 50% du parcours qui reste à faire, n’a pas obéi à la même logique. C’est sur cela que nous avons attiré l’attention dès les premiers jours. Nous pouvons comprendre que quelques lois aient un caractère sensible ou particulier, mais nous devons accélérer la cadence.

Le gouvernement a-t-il été performant sur le volet économique ?

M.M. : Ce gouvernement souffre d’un déficit de vue stratégique et de créativité. Est-ce qu’il a apporté un seul projet structurant ? Non. Il y a une incompréhensible continuité alors que nous avons besoin de ruptures et d’une nouvelle génération de réformes. Comment peut-on parler de crise économique alors que le pays enregistre une moyenne de 4,5% de croissance ? La réponse est qu’on a une crise de gouvernance. Ce gouvernement allait racheter des agréments de transport qui ont été accordés à des gens il y a des décennies et il a dû faire marche arrière, heureusement.

M.E.K. : Il y a aussi d’autres vérités et contraintes à rappeler. En 2009, le Maroc a adopté au moins cinq stratégies sectorielles et c’est l’actuel gouvernement qui doit passer à la caisse en 2014. Cette année également, le service de la dette va absorber 57 milliards de dirhams au lieu de 39 en 2013. Malgré cela, nous avons réalisé de bonnes performances. Entre autres, nous avons réussi le défi du Millenium challenge et le Maroc est éligible pour la deuxième phase. De même, nous avons gagné 10 points dans le classement « Doing business » de la Banque Mondiale.

Pourquoi l’élaboration du calendrier électoral a-t-elle pris autant de retard ?

M.M. : C’est l’un des plus grands cafouillages. Nous avons l’impression que le ministère de l’Intérieur continue à travailler indépendamment du gouvernement. Mohamed Hassad est même venu annoncer la date de 2015 alors que les chefs des partis de la majorité n’étaient au courant de rien. Nous-mêmes parlementaires n’avons aucune visibilité sur ce que seront les régions et les communes de demain, ni sur la loi et le découpage électoraux.

M.E.K. : Le ministère de l’Intérieur est en train de finaliser les lois électorales et ces textes vont bientôt atterrir au parlement. Toutes les lois seront adoptées dans le cadre du dialogue et de la concertation. Cela ne doit pas faire oublier tous les autres grands chantiers de 2014, en premier lieu la réforme de la justice, des retraites, de la compensation et le dossier de l’emploi. 

Mehdi Mezouari

Parcours : Pur produit de l’USFP, il est économiste de formation. Député socialiste depuis novembre 2011, il est un des membres les plus assidus de la commission parlementaire. 


Mustapha El Khalfi

 

Parcours : Bardé de diplômes, il a fait son apprentissage politique dans les rangs du Mouvement unicité et réforme (MUR) et du PJD. Il est ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement.

 

 

Autor: Mohammed Boudarham

Source/Fuente: http://www.telquel-online.com/content/bilan-quel-bilan-pour-benkirane