Hamid Chabat: les propositions de l’Istiqlal pour la nouvelle année

Fuente: 
Le Matin
Fecha de publicación: 
01 Ene 2013

Le Matin : Depuis quelques semaines, vous êtes le nouveau secrétaire général du Parti de l’Istiqlal. À travers vos nouvelles responsabilités, comment analysez-vous la scène politique ainsi que la situation au sein de votre parti ?
Hamid Chabat : Le Parti de l’Istiqlal existe sur la scène politique depuis des décennies. D’ailleurs, nous avons, dans ce sens, constitué une commission qui se penche sur les préparatifs pour la commémoration du 80e anniversaire au cours de l’année prochaine. L’Istiqlal est un parti qui a milité pour l’accès du Maroc à son Independence. Il défend encore et toujours les principes de justice sociale, de liberté et des droits de l’Homme. C’est un parti qui a donné naissance à plusieurs autres formations politiques et nous estimons, de ce fait, qu’il représente une école à part entière sur l’échiquier politique national. Maintenant, en ce qui concerne la politique en général, il faut reconnaître que les partis ont joué un rôle crucial. C’est dans ce sens, entre autres, qu’il y a eu du changement au sein du Parti de l’Istiqlal. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, l’État semble ne pas accorder une grande importance aux formations politiques. Il n’a rien fait pour qu’elles aient le poids qu’elles sont censées avoir au sein du tissu sociétal.
Je pense, personnellement, que le Maroc a connu trois principales phases. Celle que je qualifierais de phase sanglante entre 1955 et 1959, ensuite celle des années de plomb, qui s’est étendue jusqu’à la Marche verte en 1975. Puis, une troisième phase, celle de l’ouverture, qui a démarré avec Feu S.M. le Roi Hassan II et qui s’est consolidée avec l’avènement de S.M. le Roi Mohammed VI avec un nouveau concept de l’autorité. Phase marquée, aussi et surtout, par les grandes réformes, la réconciliation, matérialisée par l’Instance équité et réconciliation, l’IRCAM… ensuite par les grandes orientations contenues dans le discours royal du 9 mars 2011. Ceci pour signifier que le Maroc s’inscrit dans une dynamique et un long processus historique que l’on ne peut réduire à certaines dates, ni le 9 mars, ni le 20 février ou encore le 25 novembre. Le Maroc est dans une trajectoire que l’on ne peut résumer à certains événements. Plus encore, la force de l’action politique au Maroc découle du fait qu’il y a eu toujours une harmonie entre le peuple et l’institution monarchique. C’est ce qui fait de notre pays un modèle dans le monde arabe dans le cadre du Printemps arabe. Les Marocains gardent toujours présent à l’esprit que le protectorat - et non pas la colonisation – nous a été imposé parce qu’il y avait «Siba».
Par ailleurs, au parti, nous appelons à l’adoption d’un nouveau concept de la politique pour rompre avec cette image étriquée que l’on colle aux formations politiques. Il faut savoir que ce qui est arrivé dans les pays arabes fait partie, pour moi, d’un plan international pour le changement du monde. Car chaque centenaire apporte son lot de changements. La fin du XIXe et le début du XXe siècles ont été marqués par les guerres du colonialisme. Aujourd’hui, le colonialisme prend forme à travers la propagation des idées et la déstabilisation des pays arabes. Ceci est le résultat de la crise dont pâtit le monde moderne, plus particulièrement la crise qui a frappé l’Europe en 2008 et en 2009. C’est ainsi qu’en 2010 les événements du Printemps arabe ont démarré dans notre région. C’était pour détourner l’attention de la crise que vivaient les pays européens comme l’Espagne, le Portugal, la France… Mais aussi pour contrôler les richesses des pays arabes… Seulement voilà, les révolutions arabes, où se sont investis les jeunes, sont récupérées par certaines entités, notamment les salafistes et des personnalités qui étaient à l’étranger, à Londres, Paris, Washington, Berlin… De là, on constate que le Maroc est resté loin de ces agissements grâce à son multipartisme. Notre force est, justement, dans notre particularité.
D’ailleurs, nous constatons que les pays où il y a des monarchies jouissent de la stabilité, contrairement aux soi-disant républiques ou aux systèmes qui prétendent être progressistes. Le régime dans notre pays a une légitimité historique. Les partis, aussi, ont une légalité, sauf que nous avons besoin d’une charte politique réunissant les partis patriotiques.
Dans ce sens, il faut revoir la loi sur les partis en faisant entrer en ligne de compte les évolutions que connaissent le Maroc et le monde de manière générale. Les partis politiques marocains ont des problèmes d’ordre financier parce que le soutien de l’État reste insuffisant. Comment peut-on se contenter d’un appui de sept millions de centimes alors qu’un parti doit avoir des structures parallèles de jeunes, de femmes, des alliances… qui soient à la hauteur ? Sachant que les dépenses normales d’un parti sont de l’ordre d’un milliard 200 millions de centimes.
Les formations politiques n’avaient pas le courage de parler des attentes à même de répondre aux besoins de leurs adhérents. Pour la simple raison qu’elles ne jouissaient pas de la démocratie interne qui devait leur donner la légalité existentielle. Tout se passait donc sous la table. Car ces chiffres que je viens de vous annoncer, je n’étais pas en mesure de les avoir quand j’étais membre du comité exécutive. Je n’ai pu en prendre connaissance qu’en étant devenu secrétaire général. C’est là une raison, parmi d’autres, qui ont affaibli les partis qui dissimulaient tout à leurs bases. C’est pour cela que nous estimons que le paysage politique doit être réorganisé et pour instaurer la démocratie interne, la transparence, en tant que fondamentaux.
Les partis doivent combattre la mauvaise gestion, le copinage… Car nous avons besoin du changement. Il faut le dire, ce sont les partis qui proposent les ministres. Donc, s’ils ne font pas le ménage en interne, ils ne pourront pas prétendre avoir des changements au sein du gouvernement. Ceci doit passer par le truchement de la loi sur les partis qui va permettre, par la même occasion, de régler le problème du financement. Car il y a encore de l’opacité en ce qui concerne le financement par les militants des compagnes électorales.
Je vous donne un exemple. Prenons le financement des élections dans le cadre de la loi sur les partis. Cette loi stipule que chaque candidat aux élections locales peut disposer de 50 000 dirhams, et de 350 000 lors des échéances législatives. Et au cas où quatre candidats se présenteraient, ils peuvent disposer de 1,4 million de dirhams. Maintenant, quand on veut présenter un candidat qui a été élevé et encadré dans le parti, qui croit en ses valeurs et est prêt à les défendre, on se retrouve avec un instituteur, un enseignant, un avocat ou un ingénieur qui ne peut avoir ces montants. Sachant qu’il ne peut percevoir qu’un appui inclus entre 30 et 40 000 dirhams. Où pourrait-il trouver la différence ?
D’où la nécessité d’avoir un dispositif clair, tel celui des États-Unis d’Amérique, ou encore de la France, qui encadre la collecte des dons. Car ce n’est pas une mince affaire que de pouvoir prétendre aller à la rencontre des populations et des différents acteurs de la société.
Vous savez, à Fès, que je connais très bien, il y a 250 conseillers, dont ceux ma circonscription, qui en a 39. Et si on veut couvrir les dépenses, il nous faut un milliard de centimes ? Vous imaginez un parti pouvoir aligner 10 millions de dirhams pour chaque circonscription ? On comprendra, aisément, dès lors, pourquoi on n’assiste pas à une mobilisation des électeurs telle que cela doit être fait, parce que nous n’avons pas les moyens. Il y a tant de choses à entreprendre encore. D’autant plus que nous n’avons pas dépassé la zone du danger. Certes, nous avons eu des élections et des réformes politiques, dont on ne pouvait faire l’économie.
Mais qui va les réaliser ? Ce sont les partis, bien évidemment. Car, aujourd’hui, le gouvernement a davantage de prérogatives, le chef du gouvernement a un statut plus important que ce qu’avait l’ancien premier ministre... Le Parlement a également des attributions plus larges que par le passé.

«Nous présenterons le 3 janvier un mémorandum au chef du gouvernement pour présenter notre position»
● «Les partis doivent combattre la mauvaise gestion et le copinage»
● «Nous participons à ce gouvernement, mais nous ne sommes pas là que pour applaudir»
● «La réforme de la Caisse de compensation concerne tous les partis»

Dans ce contexte marqué par ces contraintes, comment travaille le Parti de l’Istiqlal ?
Nous ne parlons pas de contraintes. Nous nous intéressons à comment arriver à un État démocratique où il y a des gouvernements politiques. Il faut permettre la mise en place de partis forts tout en travaillant pour faire comprendre au peuple que l’appartenance aux partis politiques n’est pas un crime. Nous travaillons avec les moyens du bord, mais cela n’est pas suffisant pour être un véritable parti. Aussi, notre gouvernement péche par le fait qu’il lui manque la prise de la décision politique. Ce sont les décisions d’ordre administratif qui prévalent encore. Car il fallait, en tant que partis de la majorité, préparer un programme gouvernemental, sur la base duquel il fallait ensuite constituer le gouvernement. Mais ce qui s’est passé, c’est tout à fait le contraire. On a constitué le gouvernement, puis on a demandé à l’administration d’élaborer le programme gouvernemental. Du coup, on s’est retrouvé dans une certaine forme d’hiatus entre les programmes électoraux et le programme gouvernemental. C’est ainsi que le taux de croissance a été fixé chez un parti de la majorité à 7%, à 6 ou 5 chez l’autre… Le vrai problème, à mon sens, est que les formations politiques ne disposent pas de cabinets d’études qui leur permettent de discuter d’égal à égal avec l’administration.

Pourquoi les partis politiques n’exploitent-ils pas leurs propres moyens pour sensibiliser et collecter les fonds qu’il leur faut auprès des militants ?
C’est difficile. Car, pour un individu, il est déjà difficile d’adhérer à un parti. Il est difficile de lui demander en plus de sacrifier son temps et son argent. Maintenant, pour qu’un parti puisse participer à la stabilité de son pays, il est clair qu’il est impératif, voire cardinal, que le peuple comprenne que la politique n’est pas interdite. D’autant plus qu’à un moment donné, être dans un parti était synonyme d’interdiction d’accès, par exemple, à des postes de responsabilité. Les choses ont changé et la nomination à plusieurs hautes fonctions relève des prérogatives du gouvernement. D’où la force des partis qui, avant, ne pouvaient pas espérer que les grandes compétences fassent le choix de la participation politique.
Nous sommes, maintenant, dans une phase que l’on peut qualifier de transitoire. Mais il faut renforcer les partis pour qu’ils soient à même de remplir les missions qui sont les leurs. Nous demandons aussi la mise en place d’un code électoral à la hauteur. J’estime, également, qu’il est nécessaire d’exonérer les personnes qui financent les partis de l’impôt. En fait, avant, on avait tout le loisir d’inviter un conférencier et compter sur sa générosité.
Ce n’est plus le cas. Nous demandons aussi de réactualiser le code électoral. Rappelons que dans certains pays le citoyen est obligé, par la force de la loi, de voter. Au Maroc, la situation commence, sérieusement, à inquiéter, sachant que lors des dernières élections partielles, le taux de participation à baissé jusqu’à 16%. Ce qui veut dire que la volonté de 84% d’électeurs relève de l’inconnu. Nous avons donc besoin d’un code électoral qui pousse les citoyens à participer massivement aux élections. Il y a plusieurs raisons qui encouragent, depuis des années, l’abstentionnisme. Aussi, si nous n’élaborons pas les lois qui vont permettre la mise en application de la nouvelle Constitution, les lois relatives aux collectivités territoriales… ce serait difficile de prétendre à une révision à la hausse du taux de participation.

Est-ce pour ces raisons que vous aviez refusé d’assister aux réunions des partis de la majorité ?
Non, ce n’est pas du tout un refus. Nous étions tout simplement au début de la campagne électorale des élections partielles qui avaient eu lieu. Mais, aussi, parce qu’on avait des agendas différents.

Selon vous, les élections communales dépendraient des conditions que vous avez évoquées ?
Il y a des priorités. Et la première n’est autre que la mise en application des dispositions de la nouvelle Constitution à travers des lois organiques qui ne concernent pas uniquement les élections, mais aussi l’identité du pays. Avant de fixer la date des élections, il faut d’abord débattre, entre les partis, des lois qui vont les encadrer. Puis, il faut soumettre ces textes au Parlement en suivant le circuit normal. À moins que le principal souci soit l’organisation, coûte que coûte, d’élections.

D’ailleurs, depuis 2007, nous vivons sur le rythme des élections : les élections législatives de 2007, celles communales de 2009, les législatives de novembre 2011, puis on pense à celles de 2013… à la suite desquelles se terminera le mandat du gouvernement et on se rendra compte qu’on a un bilan négatif sur le plan économique et un climat social tendu… Dans ce contexte, comment voulez-vous que le parti de l’Istiqlal se cantonne dans le silence ?
C’est vrai, nous voulons que l’expérience de ce gouvernement réussisse. Nous participons à ce gouvernement avec la conviction que l’intérêt du pays est au dessus de toute autre considération. Mais, nous ne participons pas uniquement pour dire oui. Nous participons en tant que parti qui a son histoire, son programme et qui a ses compétences qui sont capables de permettre au pays de dépasser la phase actuelle. Nous voulons participer à la réussite de cette expérience et répondre aux attentes du peuple. Nous refusons, par contre, d’être le gouvernement de la hausse des prix et des impôts.
Nous disons que toute décision qui concerne le peuple marocain doit être débattue par les quatre partis de la majorité. Or, au sein de la direction gouvernementale, nous avons vécu, de janvier à septembre 2012, une phase marquée par l’absence de la direction du Parti de l’Istiqlal. Ce qui est dû aux circonstances liées à la tenue du congrès de notre parti. Nos ministres n’avaient pas le parapluie politique qui devait leur permettre de faire face aux décisions impopulaires du gouvernement. Maintenant, après le congrès et l’élection d’une nouvelle direction, nous disons que c’est la décision politique qui doit prévaloir au sein du gouvernement. Nous devons travailler en tant que gouvernement et non pas en tant qu’un seul parti.
Nous demandons à ce qu’on soit associé à la prise de décision. Par exemple, un dossier aussi épineux que celui de la réforme de la Caisse de compensation ne peut pas être traité par un seul ministère qui prétend avoir toutes les solutions. Jusqu’à présent, les leaders politiques des partis de la majorité ne se sont pas réunis pour discuter de ce dossier. Deuxièmement, ce dossier relève également de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH).
Le pays vit aujourd’hui une situation particulière. Dans ce cadre, les dossiers d’ordre social doivent être réglés loin de la surenchère. Je reviens encore à la réforme de la Caisse de compensation qui est une affaire de tous les partis de la majorité et si une décision devait être prise, elle ne pourrait être que politique, de la même manière que pour la question de la hausse des prix du carburant. Maintenant, si cela n’intéressait pas particulièrement l’ancienne direction de notre parti, ce n’est plus le cas de la nouvelle instance décisionnelle, qui a une légitimité à la fois historique et démocratique et, qui plus est, est tenue de rendre des comptes au conseil national. Je pense que le danger qui nous guette c’est cette volonté de diriger le gouvernement avec l’esprit d’un seul parti. Nous agissons dans le cadre d’un État dont le chef du gouvernement est à la fois celui d’une coalition gouvernementale et celui du gouvernement de tous les Marocains.

Ceci veut-il dire qu’il n’y a pas une cohérence autour d’un projet de société ?
C’est là où réside le problème. C’est pourquoi nous allons présenter, le 3 janvier, soit une année après l’installation du gouvernement et 100 jours après l’élection de la nouvelle direction du Parti de l’Istiqlal, un mémorandum au chef du gouvernement où nous présentons notre position.

Les ministres istiqlaliens ont aussi une part de responsabilité ?
En fait, nous n’avions pas une direction politique pour suivre leurs activités pendant neuf mois. Aujourd’hui, cette direction est là et leur demande des comptes. Ils assistent aux travaux du comité exécutif et présentent des rapports. D’ailleurs, nous tenons, désormais, les réunions du comité exécutif chaque mercredi, au lieu du lundi, justement pour pouvoir débattre de l’ordre du jour du conseil du gouvernement qui se tient le lendemain.

Mais il paraît, à travers l’appel au remaniement ministériel, vous n’êtes pas non plus satisfait de vos ministres. Le chef du gouvernement accepte-t-il la proposition de remaniement ou y est-il réticent ?
Officiellement, le chef du gouvernement a dit que les partis qui optent pour le remaniement doivent soumettre un mémorandum qui sera examiné de manière collégiale. Nous ne sommes pas en conflit, mais nous nous complétons. Moi je veux la stabilité pour mon pays et je considère que les hausses successives dans les prix vont dans le sens contraire de cette ambition. C’est pourquoi nous nous battrons contre toute décision qui risque de porter atteinte à la stabilité du pays. Et personne n’a le droit de nous taxer d’avoir un pied dedans et un autre dehors. Nous avons, pour ainsi dire, nos deux pieds dans le gouvernement. Nous sommes dans un gouvernement démocratique, issu des élections, et nous avons le droit et le devoir d’exprimer nos positions et d’émettre nos points de vue. En fait, c’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un gouvernement émet un communiqué pour fustiger des députés parce qu’ils ont discuté le projet de la loi de Finances. Nous n’avons pas hésité à répondre immédiatement pour éviter la confusion des genres. C’est le Parlement qui contrôle le gouvernement et ce dernier n’a aucunement le droit de remettre en cause l’institution parlementaire. La loi fondamentale est claire : il y a séparation des pouvoirs.
Si nous sommes au gouvernement, c’est pour trouver des solutions pour faire face aux adversités et à la crise, et non pour les exacerber. Nous n’avons pas le droit de dire que nous ne savions pas, ou que nous rencontrons des contraintes. Nous voulons travailler et cesser de parler. Nous avons suffisamment crié, nous sommes descendus dans les rues, nous avons brandi les banderoles. Il est temps de passer à l’acte. Nous voulons garder la confiance que les électeurs ont donnée à ce gouvernement.

Cela voudrait dire que vous optez pour des politiques au gouvernement et non des techniciens ?
Nous voulons des politiques et des techniciens en même temps et nous avons dans nos rangs ce double profil. La différence entre un politique et un technicien, c’est qu’ils ont fait la même école et ont eu le même diplôme, sauf que le premier a été actif dans le monde associatif et a une facilité de contact avec les gens et peut trouver des solutions à leurs problèmes. Son dynamisme et son action font la différence. Un technicien quant à lui décrète une hausse de prix sans prendre en compte l’impact que cela peut avoir d’un point de vue social. Un ministre est appelé à être à la fois un politique et un technicien. La différence entre un gouvernement technicien et un autre politique, c’est que le dernier bénéficie du soutien populaire des partis de la majorité. Car chaque parti dispose d’une base et de milliers de militants qui vont soutenir le ministre dans ses décisions.

D’aucuns pensent que vous gérez le parti à la manière d’un syndicat…
Quel mal y a-t-il à cela ? Au 9e congrès de l’UGTM, qui a eu lieu fin janvier, début février, nous avons élevé le slogan «L’employeur et le salarié sont les deux faces de la même monnaie qu’est le développement». Durant le congrès, nous avons dit que désormais il n’y aura plus de grève pour la grève. Lors des discussions sur la Constitution, nous avons également dit qu’une journée de grève n’est pas une journée travaillée. L’UGTM est aussi la première centrale à signer un accord avec la CGEM. Nous avons alors parlé des libertés syndicales et du syndicat partenaire, non-adversaire. Notre syndicat n’a jamais été la cause de fermeture d’une entreprise. Nous estimons que sans entreprise, il ne pourrait y avoir de syndicat. Je rappelle aussi que nous avons été les premiers à mettre en avant le principe des usines pour les salariés en 1960.

Mais ce rêve n’a jamais vu le jour ?
C’est la raison pour laquelle l’on assiste à une tension sociale et au bras de fer qui continue entre les bureaux syndicaux et les employeurs. Ceci étant, je ne peux pas tenir un langage dans le gouvernement et faire volte-face dans l’opposition. Hier, on pousse les diplômés chômeurs à manifester devant le Parlement et à occuper le siège de l’Istiqlal et aujourd’hui on ignore l’engagement que le parti a signé avec ces diplômés. Cela fait un an que le dialogue est en stand-by et finalement l’on décrète que le salaire des grévistes est ponctionné. Cette logique ne tient plus la route à mon sens. Un salarié qui n’a pas touché son salaire pendant 3 mois a le droit de faire grève. Notre force en tant que syndicat, c’est d’être au plus près des soucis de la société marocaine. Au Parti de l’Istiqlal, nous ne nous appuyons pas uniquement sur le bras syndical, mais nous avons aussi l’alliance des économistes qui est une force de proposition pour apporter des réponses aux problèmes économiques du pays. Nous espérons que le gouvernement suivra la même voie. Nous voulons que cette majorité réussisse et que les électeurs ne boudent pas demain les urnes.

Pensez-vous que le remaniement ministériel auquel vous appelez contribuera à cette réussite ?
Bien évidemment, après un an de la nomination de ce gouvernement, il faut faire une halte de réflexion. D’habitude, l’on assiste souvent à un remaniement après un an d’exercice du pouvoir. Aujourd’hui, je ne comprends pas toute l’appréhension qui entoure cette éventualité, ou alors est-ce parce que la demande est venue de Hamid Chabat qu’on lève les boucliers ! Nous voulons que chaque secteur du gouvernement soit évalué et que les résultats soient communiqués. Nous devons reconnaitre les manquements aussi bien que les choses positives. Sinon, la participation serait moindre que les 16% enregistrés aux dernières élections partielles. Nous avons des exemples dans le monde arabe. En Égypte, les premières élections ont connu une affluence massive (70%), en Tunisie (80%), mais aux derniers scrutins, la participation n’a pas dépassé 30%. Lorsqu’on évoque le sujet des élections, je dis au chef du gouvernement qu’il faut préparer le terrain en réalisant ce que le citoyen attend de nous en tant que responsables de la chose publique. Mais non en l’accablant de hausses de prix qui n’ont pas lieu d’être. Pour ce qui est de la classe moyenne, elle joue un rôle important dans l’économie nationale. Mais aujourd’hui, elle se trouve dans une situation critique dans la mesure où le gouvernement met un salarié qui touche 6 000 DH dans la case de la classe moyenne alors que les prix ont partout flambé. On envisageait même d’appliquer l’impôt de solidarité aux salariés qui perçoivent un salaire de 4 000 DH.

Pensez-vous que le remaniement que vous demandez nécessite une révision du programme gouvernemental ?
Pas seulement le programme gouvernemental, mais le comportement même au sein de la majorité. Et ce, pour savoir si l’on travaille pour servir les intérêts du parti ou ceux du pays. Car lorsque le chef du gouvernement soutient le premier Mai le syndicat de son parti, cela veut dire qu’il ne représente pas l’ensemble des partis de la majorité. Aujourd’hui, il faut se décider : ou bien il faut agir en tant que responsable partisan ou en tant que chef du gouvernement. Ou alors, la population exprimera son regret de ne pas avoir un gouvernement de technocrates.

Tenez-vous toujours à ce que l’USFP fasse partie de la prochaine majorité au cas où il y aurait remaniement ?
L’USFP n’a pas encore élu toutes ses structures. Il faut attendre avant d’entamer le débat avec ce parti à plusieurs niveaux.

Quid alors de la Koutla ?
Les prises de langue débuteront entre l’Istiqlal et l’USFP et on verra ensuite les autres parties avec lesquelles on peut se mettre d’accord. Historiquement, le Parti de l’Istiqlal a toujours joué le rôle de soupape de sécurité du pays. Même lorsqu’il était dans l’opposition, il a toujours respecté les institutions et ne compte pas changer sa position à cet égard. Mais lorsque l’on voit qu’une partie a dépassé les lignes rouges et risque de porter préjudice aux autres, l’on agit de manière préventive. Nous avons choisi de faire partie de ce gouvernement grâce aux électeurs qui nous ont donné la deuxième place. Il est facile de jouer à la chaise vide pour devenir un zaïm sans programme ni idées. En 1977, nous avons participé au gouvernement pour notre intégrité territoriale sans nous soucier du nombre des portefeuilles ministériels. Aujourd’hui, je considère que les raisons de notre participation ne sont pas respectées et cela mérite qu’on s’y attarde. Nous avons demandé que le SMIG soit à 3 000 DH, mais voilà qu’avec les hausses successives, il s’amenuise pour ne pas dépasser 1 800 DH. Le programme gouvernemental s’inscrivait dans la continuité des chantiers lancés par son prédécesseur, mais l’on constate aujourd’hui que ces chantiers sont vidés de leurs portées l’un après l’autre. Je cite l’équipement et le transport, la solidarité et l’emploi, etc. S’ajoute à cela l’accord du 20 avril 2011 signé entre le gouvernement et les syndicats et qui n’est pas encore appliqué. On a oublié le budget de 1 MMDH destiné à la formation des diplômés chômeurs et le recrutement de 10 000 personnes dans les collectivités locales. À Fès par exemple, nous avons un déficit de 500 postes qui sont aujourd’hui vacants. Si on avait formé les diplômés, on ne serait pas tombé dans le déficit actuel dans l’enseignement après l’interdiction de travailler dans le privé pour les enseignants du public.

Comment concevez-vous le remaniement ministériel ?
La conception doit être discutée au sein de la majorité, ce que nous respectons comme procédure. L’Istiqlal est bien implanté dans le gouvernement. Il n’a pas un pied dedans et un pied dehors. Or le principe de la concertation doit primer. Je le réitère : nous sommes là pour trouver des solutions à la crise, car le Maroc est aujourd’hui le deuxième pays de la région en ce qui concerne l’endettement. Certes, aucun pays ne peut avancer sans endettement, mais à condition qu’il soit utilisé dans des projets porteurs et d’investissement.

Allez-vous insérer ces propositions dans le mémorandum que vous allez présenter le 3 janvier ?
Bien évidemment, ce sera notre plateforme. Ceci étant dit, nous voulons une majorité cohérente qui prend ses décisions de manière collégiale et non unilatérale. Surtout quand il s’agit de grands dossiers comme de celui de la compensation et celui des retraites. Idem pour ce qui est de la loi sur les syndicats et de la hausse des prix. Il faut aujourd’hui que nous définissions les priorités. La solidarité gouvernementale est devenue une nécessité.

Ne voyez-vous pas qu’il y a incompatibilité entre votre fonction de président d’un syndicat et celle de secrétaire général d’un parti ?
Je ne vois aucune incompatibilité. Mais nous travaillons sur le prochain congrès de l’UGTM qui élira le nouveau dirigeant de la centrale. En ce qui me concerne, je ne comprends pas pourquoi on me demande de me séparer de ma casquette syndicale. Je considère qu’il y a une complémentarité entre les deux fonctions. Les deux fonctions visent la défense des intérêts des citoyens. L’exemple le plus éloquent en ce qui concerne ce mariage entre le politique et le syndical se trouve en Allemagne.

Quel est le statut de Hamid Chabat aujourd’hui au sein du PI ? Est-ce qu’il est accepté par tous en tant que chef du parti ou est-ce qu’il y a encore un refus exprimé de la part d’un certain courant ?
Toutes les structures appartenant au Parti de l’Istiqlal travaillent en toute liberté. Même ceux qui n’étaient pas convaincus le sont aujourd’hui.
Et ce, grâce aux rencontres avec les régions, les cadres, les inspecteurs du parti, les secrétaires régionaux, les membres du conseil national… À chaque entité avec laquelle nous discutons, nous expliquons pourquoi nous voulons le changement. Ils ont ainsi constaté la différence. Quant à l’action en justice menée par Abdelouahed El Fassi contre moi, c’était une erreur de sa part. Car toutes les élections lors du congrès se sont déroulées selon les principes démocratiques, et le vote a eu lieu par des cartes électroniques sous l’oeil des caméras de contrôle… Maintenant, mon souci en tant que nouvelle direction est de réussir mon mandat. Lors des passations du pouvoir, j’ai précisé que je n’allais pas me présenter pour un deuxième mandat. Mon objectif est de mettre le parti sur les bons rails.

L’opération de divulgation des bénéficiaires de la rente au sein du parti a commencé. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Déjà au cours du mois de décembre, certains n’ont pas perçu le salaire qu’ils touchaient par le passé. Car ceux qui ne travaillaient pas et percevaient jusqu’à 10 000 dirhams juste pour faire de la propagande pour telle ou telle personne ont été surpris de ne plus percevoir ce salaire. Aussi, j’affirme qu’il ne va jamais y avoir un proche de Chabat dans les postes de responsabilité du parti, dans un cabinet ou dans le gouvernement... Car, désormais, c’est le mérite qui prévaut.

Certains estiment que la question du remaniement auquel vous appelez a pour objectif de vous permettre d’avoir un portefeuille ministériel ? Qu’est-ce que vous en dîtes ?
Absolument pas. Vous n’allez jamais voir Hamid Chabat ayant une responsabilité. Ma principale préoccupation c’est la réorganisation interne du Parti de l’Istiqlal et le renforcement de l’action politique dans le pays. Il y en a qui rêve de me faire taire en me faisant rentrer au gouvernement. Chabat ne va jamais se taire. J’ai un mandat de quatre ans à la tête du parti à mener et je n’ai absolument aucune attention de devenir ministre. Chabat n’est pas né pour l’être. Il est né pour être militant de proximité. Le parti a besoin aujourd’hui de quelqu’un qui le sert. En le servant, je sers le pays.

Où en est le parti dans les préparatifs des prochaines échéances électorales ?
Les conclusions issues des dernières élections partielles sont satisfaisantes. Et ce, parce que la nouvelle direction du parti est descendue avec force dans la rue où elle a parlé aux électeurs. Nous avons constaté que, lors des législatives qui ont connu un taux de participation de 45%, nous avons eu 4 000 voix dans la circonscription d’Inzegan-Aït Melloul, lors des partielles nous en avons eu 7 500. Sachant que le parti qui a remporté le siège a vu ses voix descendre 82 000 à 17 000. À Chichaoua, nous avons pu avoir 9 989 voix, contre 5 000 lors des élections législatives. Et nous considérons qu’il s’agit là d’une évolution positive. La raison en est que la nouvelle direction est allée à la rencontre des électeurs dans une approche de proximité. Nous nous préparons aux prochaines échéances en restant proches des citoyens pour répondre à leurs attentes et satisfaire leurs revendications, qui, parfois, sont simples.