POLITIQUE - La crise politique que traverse le pays a mis à nu le vide constitutionnel entourant le scénario d'une majorité introuvable. Si le Parti de la justice et du développement (PJD) cherche activement à boucler sa majorité afin de sortir de l'impasse, les scénarios sur les différentes possibilités qui s'offrent au cas où le PJD échouerait fleurissent.
Il aura suffi d'un article pour mettre en émoi les dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD). Dimanche 20 novembre, le magazine TelQuel a publié un article intitulé "Et si le PJD ne parvenait pas à former un gouvernement?". Donnant la parole à des politologues et à des constitutionnalistes, le magazine a dressé quatre scénarios au cas où le chef du gouvernement ne parvenait pas à s'entourer de suffisamment de partis politiques pour former une majorité stable.
Deux scénarios ont fait tilter le PJD. Le premier veut que le roi nomme une autre personnalité du PJD chef du gouvernement. Pour la constitutionnaliste Nadia Bernoussi, contactée par TelQuel, "si Benkirane n’arrive pas à constituer sa majorité, rien n’interdit au roi de proposer à quelqu’un d’autre au sein du PJD de former un gouvernement, quelqu’un de plus apte, plus à même de former une coalition".
L'autre scénario explore l'hypothèse selon laquelle le roi nommera un chef du gouvernement au sein du Parti authenticité et modernité (PAM). Toujours selon Nadia Bernoussi, "en cas de blocage, on pourrait penser au deuxième parti pour veiller au fonctionnement normal des institutions".
Il n'a fallu que quelques heures pour que le site officiel du PJD fonde toutes griffes en avant sur TelQuel et Nadia Bernoussi. Épaulé par activistes, sympathisants et médias proches, le parti de la lampe a tourné en dérision les différentes interprétations de la loi fondamentale livrées par Nadia Bernoussi, les jugeant tour-à-tour d'"antidémocratiques", de "contraires à la volonté du peuple". Ceci, malgré le fait que Nadia Bernoussi a affirmé à TelQuel que "la solution la plus radicale et la plus pertinente, c’est de dissoudre le parlement et de refaire les élections".
Pareille levée de boucliers n'a pas eu lieu lorsque le constitutionnaliste et néanmoins membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS) Khalid Naciri déclarait, à la veille des élections, que "rien ne s´oppose à ce que le roi nomme un membre du deuxième parti en nombre de sièges pour devenir chef du gouvernement dans le cas d´une impasse".
Jeu d'interprétations
Sans se prononcer clairement sur la démarche à suivre au cas où la majorité resterait introuvable, la Constitution marocaine n'aborde la question que dans l'article 98, qui dispose que "lorsqu’une Chambre est dissoute, celle qui lui succède ne peut l’être qu’un an après son élection, sauf si aucune majorité gouvernementale ne se dégage au sein de la Chambre des représentants nouvellement élue". Ceci fait que le scénario de la dissolution du parlement et de la tenue de nouvelles élections reste préférentiel.
Néanmoins, la Constitution n'interdit pas, du moins dans sa lettre, de nommer le chef du gouvernement du parti arrivé deuxième. Dans un article consacré aux emprunts constitutionnels dans la Constitution marocaine de 2011, Abdelaziz Lamghari Moubarrad dissèque les dispositions relatives à la nomination du chef du gouvernement et de l'exécutif dans la loi fondamentale du royaume, ainsi que l'articulation entre l'article 47 de la Constitution et l'article 88 "dont les dispositions doivent être envisagées dans la succession et la complémentarité".
L'article 47 de la Constitution dispose que "le roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats", et énonce que "sur proposition du chef du gouvernement, le roi nomme les membres du gouvernement". L'article 88 dispose qu'"après la désignation des membres du gouvernement par le roi, le chef du gouvernement présente et expose devant les deux Chambres du parlement réunies, le programme qu’il compte appliquer", et que "le gouvernement est investi après avoir obtenu la confiance de la Chambre des représentants, exprimée par le vote de la majorité absolue des membres composant ladite Chambre, en faveur du programme du gouvernement".
"Si cet article met le gouvernement au seuil de la responsabilité devant la Chambre dont il est issu après les élections, il ne le met que dans l’état majoritaire dans lequel il va se trouver au moment de la nomination de son (futur) chef. C’est un état qui dépend du mode de scrutin, mais pas seulement de ce facteur qui relève, pour l’élection de la Chambre concernée, d’une loi organique, puisque l’état des partis politiques et le déroulement lui-même de l’élection sont des facteurs qui ont leur part d’influence en la matière. L’essentiel est que l’article 47 ouvre le chemin à la responsabilité, mais pas sûrement sur une garantie du mécanisme majoritaire", relève Abdelaziz Lamghari Moubarrad.
"L’article 88, en second lieu, met en œuvre ce mécanisme dont le sort ne dépend pas, non plus, des dispositions de cet article. Il prévoit, en effet, suite à la désignation des membres du gouvernement par le roi, à la présentation du programme gouvernemental devant les deux Chambres et à son vote par la Chambre des représentants, que le gouvernement est investi, après avoir obtenu la confiance de ladite chambre, exprimée par le vote à la majorité absolue des membres la composant, en faveur du programme gouvernemental", toujours selon Abdelaziz Lamghari Moubarrad.
Donc, ce que l'on peut retenir, c'est que l’article 47 ouvre le chemin à la responsabilité, mais pas sur une garantie du mécanisme majoritaire, tandis que l'article 88 met en œuvre ce mécanisme dont le sort ne dépend pas, non plus, des dispositions de cet article. Ce qui ouvre bien des champs de possible...
Un chef de gouvernement issu du parti arrivé premier en nombre de voix, ou en sièges?
Un autre flou constitutionnel concerne l'article 47 de la Constitution, qui est "ambigu dans la mesure où il impose deux conditions à la nomination du chef du gouvernement: l’obligation qu’il soit issu du parti politique arrivé en tête des élections à la chambre des représentants, et 'au vu de leurs résultats'. Que signifie cette dernière formule? Est-ce à dire que le roi n’est pas obligé de nommer le chef du gouvernement au sein du parti ayant obtenu le plus de sièges au sein de la chambre basse s’il n’arrive pas en tête au niveau des suffrages?", se questionne pertinemment Omar Bendourou, professeur à la faculté de droit de Souissi-Rabat et chef du département de droit public.
Car, à supposer que lors d'un scrutin législatif, le parti arrivé premier en nombre de sièges soit devancé, en nombre de voix, par une autre formation politique, lequel des deux dirigera le gouvernement? Une hypothèse qui n'est pas à écarter, la configuration électorale marocaine étant particulièrement permissive à ce genre de scénario, vu la répartition des sièges entre zones denses et zones peu peuplées.
Auteur: Reda Zaireg
Source: http://www.huffpostmaghreb.com/2016/11/22/constitution-vide-gouvern_n_13...