En Tunisie, un nouveau chef de gouvernement pour sortir de l’impasse politique

Fuente: 
Le Monde
Fecha de publicación: 
23 Ene 2020

Elyes Fakhfakh a été désigné par le président de la République, Kaïs Saïed, pour former un gouvernement, dernière tentative avant une dissolution du Parlement.

A 48 ans, Elyes Fakhfakh se retrouve propulsé sur le devant de la scène politique tunisienne. Lundi 20 janvier, le président de la République tunisienne, Kaïs Saïed, a nommé premier ministre cet ingénieur de formation et ancien ministre des finances (2012-2014). Le voilà ainsi chargé de négocier avec les forces politiques du pays pour former un nouveau gouvernement et obtenir l’assentiment du Parlement. Une mission difficile dans un paysage politique morcelé, alors qu’un premier cabinet formé sous la houlette du parti islamo-conservateur Ennahdha a été nettement rejeté par les députés le 10 janvier, trois mois après les élections législatives.

 

En cas d’échec, le dernier scénario envisagé par la Constitution est la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple par le président de la République et l’organisation d’un nouveau scrutin législatif. S’il part avec plus de chances que son prédécesseur, Habib Jemli – le premier chef de gouvernement choisi par Ennahada –, Elyes Fakhfakh va devoir s’imposer sur le long terme.

 

Positions progressistes

 

Ancien dirigeant d’un groupe automobile, celui qui a endossé des responsabilités politiques après la révolution de 2011 est présenté comme un homme intègre. « Il saura dire non quand il le faudra et a déjà une vision pour le pays », assure Hella Ben Youssef Ouerdani, vice-présidente du parti Ettakatol (centre gauche) dont est issu le nouveau premier ministre. Les Tunisiens ont pu découvrir l’homme politique lors des débats pour l’élection présidentielle de 2019 à laquelle il s’était présenté. Au premier tour, à la mi-septembre, Elyes Fakhfakh n’avait obtenu que 0,34 % des voix et encore moins aux législatives d’octobre. Son parti n’a d’ailleurs obtenu aucun siège à l’Assemblée. Mais, pour ses soutiens, ce manque de légitimité électorale n’est pas forcément un handicap. De tendance sociale-démocrate sur le plan idéologique, il a aussi montré des positions progressistes lors de la campagne présidentielle en soutenant la décriminalisation du cannabis et l’abolition du test anal, qui continue d’être pratiqué sur demande de la police contre les homosexuels.

 

 

C’est sur le plan économique que le nouveau premier ministre a une carte à jouer. Elyes Fakhfakh est connu des bailleurs de fonds étrangers de la Tunisie puisqu’il avait négocié, en tant que ministre des finances, le prêt de 2,9 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros) accordé par le Fond monétaire international (FMI) en échange d’un programme de réformes. Pour certains, sa connaissance des dossiers économiques peut être un avantage.

 

« Nous avons besoin d’un chef du gouvernement fédérateur qui va rapidement engager des réformes économiques avec les différentes instances syndicales et patronales. Il incarne une nouvelle génération de politiques, jeune et qui veut agir », commente Marouen Falfel, député au Parlement pour le parti Tahya Tounès (« vive la Tunisie ») qui a proposé Elyes Fakhfakh comme chef du gouvernement. D’autres lui reprochent son bilan en demi-teinte. « Lorsqu’il était ministre des finances, M. Fakhfakh a été vivement critiqué pour sa signature de l’accord avec le FMI sans avoir obtenu d’accord préalable du Parlement », rappelle Mohamed Dhia Hammami, chercheur en sciences politiques.

 

Indépendance face aux partis

 

Le nouveau chef du gouvernement va aussi devoir naviguer avec les partis politiques qui ne l’ont pas proposé comme candidat. Du côté de Qalb Tounès (« au cœur de la Tunisie »), parti de l’homme d’affaires Nabil Karoui qui soutenait les économistes et anciens ministres Fadhel Abdelkefi et Hakim Ben Hammouda, les députés restent pour le moment sceptiques. « Nous respectons le choix du président de la République, mais nous devons nous réunir avec notre bureau politique pour décider de la marche à suivre », déclare Iyadh Elloumi, un député de Qalb Tounès. Du côté d’Ennahda, en revanche, le pragmatisme prime. « Nous n’avons pas de veto a priori et nous allons certainement voter en sa faveur. Cela dépend juste de son programme et aussi de sa capacité à former un gouvernement d’union nationale », analyse Ajmi Lourimi, député d’Ennahda.

 

Pour certains observateurs, le choix d’Elyes Fakfakh est une affirmation de l’indépendance de Kaïs Saïed face aux partis. « Il montre qu’il se situe à équidistance des partis politiques majoritaires et il les met face à leurs responsabilités : soit ils trouvent un consensus pour former et voter un gouvernement, soit ils perdront leur siège à l’Assemblée en cas de dissolution », commente Selim Kharrat, président de l’ONG Al-Bawsala qui œuvre pour la transparence politique et la démocratie en Tunisie. Elyes Fakhfakh a un mois à compter du 21 janvier pour former son gouvernement.

Lilia Blaise

Source: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/21/en-tunisie-un-nouveau-...