Emeutes à Béjaïa contre le 4e mandat

Fuente: 
El Watan
Fecha de publicación: 
06 Abr 2014

Le représentant en chef du président-candidat Bouteflika, Abdelmalek Sellal, n’a pas pu tenir, hier, son premier meeting électoral programmé à Béjaïa.

Des centaines de jeunes l’attendaient de pied ferme devant la maison de la culture, dans un climat de tension qui a dégénéré en émeute d’une rare violence. Trois policiers et un organisateur ont été blessés et évacués, en milieu de journée, vers l’hôpital de la ville. Un policier s’est évanoui sur l’esplanade de la maison de la culture, touché par une pierre en plein visage. Il a été admis au service maxillofacial, selon une source hospitalière.

Dans une réaction de rejet à tout ce qui symbolise le pouvoir, des protestataires ont mis le feu à un véhicule de la Télévision nationale et ont lynché un confrère d’Ennahar qui n’a dû son salut qu’à l’intervention de personnes sages. Après une journée de bras de fer avec les forces de l’ordre, vers 18h, les manifestants ont accédé à l’intérieur de la maison de la culture, qu’ils ont incendiée.

Dès la matinée, l’esplanade de la maison de la culture, ceinturée par des barrières métalliques et gardée par des policiers, était interdite d’accès. L’entrée était filtrée. Pas d’accès sans montrer patte blanche. La veille, la direction de campagne de Bouteflika dit avoir distribué «1700» invitations pour une salle qui ne contient pas plus de 500 sièges, qui n’ont pas tous été occupés. Dehors, les premières pancartes sont brandies : «Dégage Bouteflika». Elles tranchent avec cette curieuse banderole accrochée sur une barrière, qui veut faire croire que «Les travailleurs du port sont pour le 4e mandat». Elle est arrachée furieusement. «Le port est à l’arrêt, ils ont libéré des travailleurs pour être présents à ce meeting», nous confie un groupe d’employés du port de Béjaïa. Et à l’un d’eux de s’écrier, s’adressant de loin aux occupants de la salle : «Vous êtes de grands traîtres !» La tension monte d’un cran et la foule qui s’est vite constituée crie en chœur : «Kedhabine, khedaîne, sarakine !» (menteurs, traîtres et voleurs).

Un jeune, recruté pour le meeting de Sellal – c’est visible à son badge – est dans la foule. «Je n’ai jamais voté, ce badge c’est juste pour être payé», tente-t-il de convaincre un groupe de jeunes manifestants qui lui en veut.  La police est sur le qui-vive. Face à un flic, un jeune exaspéré explose : «Pendant ses quinze ans de règne, Bouteflika n’est pas venu une seule fois !» Aux cris de «Djazaïr houra democratia», on tente un premier forcing pour faire sauter les barrières. Achour, un membre de Barakat, arrive, mégaphone à la main : «Y’en a marre de ce système.» «Cette esplanade est un bien du peuple, c’est notre espace, cette bougie (stèle) qui est là est celle d’Octobre 1988 !», s’égosille-t-il. D’autres pancartes se font visibles : «Non à l’élection de la honte», «Sellal, tes discours sont un poisson d’avril»…. Une autre s’adresse au chef de la diplomatie américaine : «John Kerry, le peuple algérien est maître de son destin». Une autre encore porte la particularité de la région : «Béjaïa, terre de toutes les luttes».  Les portes de la maison de la culture sont gardées fermées par les organisateurs.

A l’intérieur, les invités s’impatientent. A midi, Sellal n’est toujours pas là. Arrivé par avion, il est resté à l’aéroport, coincé. Le directeur de campagne a patienté à l’aéroport Abane Ramdane pendant plus de deux heures dans l’espoir de pouvoir gagner la maison de la culture et tenir, malgré tout, son meeting. Impossible de le faire face à des manifestants qui ont assailli les deux accès possibles au lieu du meeting et sont déterminés à y rester. «J’ai mal au cœur de voir la situation de mon pays, nous voulons un changement radical», crie l’un deux, perché sur le parapet de la maison de la culture.

Un policier approche pour le faire descendre. La foule vient rageusement à la rescousse : «Nous sommes dans notre pays !» «N’entrez pas dans leur jeu, nous sommes pacifiques. C’est cette provocation qui a fait 126 morts en 2001», crie Achour dans son mégaphone.  Les derniers invités du meeting passent sous une pluie de crachats, d’insultes et de projectiles en tout genre. Dans la foulée, des journalistes de télévision sont aussi attaqués. Des confrères photographes, mêlés à la foule, doivent décliner l’identité de leurs employeurs. «Où est Ennahar ? Ils nous ont salis», lance un jeune.

Le 4x4 de la Télévision nationale est caillassé avant d’être brûlé sur l’esplanade. Entre-temps, des renforts des forces antiémeute prennent position aux alentours.  L’atmosphère est délétère. La foule, assise par terre, empêche les CNS de passer. Instruction est donnée de ne pas forcer le passage. Les slogans antipouvoir sont repris : «Chômage, harraga, programme Bouteflika». Les CNS rebroussent chemin et réapparaissent de l’autre côté de la maison de la culture, au rond-point d’Aâmriw, là où couve un deuxième foyer de tension. Le temps de prendre position et le fameux «moustache», le chasse-neige, fonce sur les manifestants. S’ensuivent des jets de pierres et de bombes de gaz lacrymogènes. L’émeute se propage à toutes les rues adjacentes et plonge tout le périmètre du quartier d’Aâmriw dans un climat de révolte, rappelant des scènes du printemps noir de 2001.

A l’aéroport, Sellal renonce finalement à tenir son meeting. Les organisateurs en sont informés et décident de libérer leurs invités vers 13h30, après 4 heures d’attente. Le meeting est annulé. Les premiers contingents qui sortent de la maison de la culture sont accueillis par les manifestants par des insultes et des crachats. Certains sont reçus avec des applaudissements ironiques, d’autres sont agressés.
L’émeute continuait, au moment où nous mettions sous presse, et son périmètre s’est élargi.
Sellal, lui, est rentré à Alger par un vol tardif. Une question se pose à présent : Ahmed Ouyahia, dont le meeting est programmé pour le 11 avril, maintiendra-t-il son déplacement à Béjaïa ?

 

 

Autor: Kamel Medjdoub

Source/Fuente: http://www.elwatan.com/une/emeutes-a-bejaia-contre-le-4e-mandat-06-04-20...