Ali Benflis : « Ceux qui entretiennent l’idée d’un cinquième mandat n’imaginent pas tous les torts qu’ils occasionnent au pays »

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23 Feb 2017

Ali Benflis est le président de Talaï El Hourriyet qui a pris la décision de ne pas prendre part aux prochaines législatives prévues le 4 mai. Dans cet entretien, l’ancien chef du gouvernement explique le choix de son parti. Il revient également sur le report de la visite de la chancelière allemande, Angela Merkel, et la question du cinquième mandat.

La majorité des partis ont décidé de participer aux élections législatives. Est-ce que vous regrettez votre position aujourd’hui ?

Je ne regrette pas du tout cette décision qui a été prise par le comité central du parti pour plusieurs raisons. La première est liée à la fraude dont nous sommes sûrs et certains qu’elle dominera la prochaine échéance législative. Nous ne serons donc pas de faux témoins et nous ne nous rendrons pas complices d’un recours au faux et usage de faux à l’occasion de ces législatives.

Pour nous, la prochaine assemblée sera façonnée dans le moule de la fraude et nous ne pouvons pas cautionner la fraude qui ne se cache même plus et qui se pratique à ciel ouvert. La deuxième raison est que cette échéance législative est une perte de temps pour tout le monde et surtout pour notre pays qui a des défis beaucoup plus graves et urgents à relever. Personne n’attend de cette échéance qu’elle change quoi que ce soit à l’impasse politique, à la crise économique et la crise sociale dans laquelle notre pays se débat sans la moindre lueur de règlement à l’horizon. La troisième raison est que nous entendions être logiques avec nous-mêmes. Nous ne pouvons, sans nous contredire, être partie prenante dans un système politique que nous qualifions d’archaïque et de menace pour le pays.

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Les partis politiques qui ont décidé de participer estiment que cette élection leur offre une tribune. Est-ce qu’il n’était pas nécessaire pour votre parti qui est nouveau de participer à cette élection pour continuer à exister ?

D’abord, je respecte les décisions prises par chaque parti politique. Mais je vous rassure. Notre parti se porte très bien. Il a pris la décision de la non-participation il y a de cela sept semaines. Celle-ci n’a pas provoqué dans nos rangs l’hémorragie que l’on nous prédisait. Bien au contraire ! Toutes les informations qui nous parviennent de nos bureaux communaux et territoriaux font état d’un afflux de nouveaux militants vers notre parti. Notre non-participation a renforcé notre crédibilité auprès de nos concitoyennes et nos concitoyens. Elle leur a fait voir la cohérence de notre discours politique et a renforcé leur confiance en notre action politique.

Nos concitoyennes et nos concitoyens respectent et partagent notre choix car ils savent au fond d’eux-mêmes qu’ils n’ont rien à attendre des prochaines législatives. Je me suis déplacé samedi à Oran (pour un meeting). La salle était archicomble. Il n’y avait même pas de place alors que le parti ne participe pas à l’élection.

Vous évoquez la fraude comme l’une des raisons à l’origine du boycott des législatives par votre parti. En 2014, vous avez participé à l’élection présidentielle en tant que personnalité politique. Qu’est-ce qui a changé ?

D’abord, ma participation à la présidentielle relevait d’une décision strictement personnelle. Quant à la décision de non-participation aux législatives, elle a été prise par le parti dans son ensemble. Durant plus de deux mois, nos bureaux communaux et territoriaux ont été consultés à ce sujet et une tendance lourde s’est dégagée en direction de la non-participation. Sachez que c’est le comité central, dans un vote public, qui a officialisé cette décision. Pour l’anecdote, je n’ai même pas participé à ce vote pour ne pas influencer le cours. J’ai déclaré solennellement, à l’occasion de deux réunions du bureau politique, que la décision du comité central sera respectée qu’elle soit en faveur ou non de la participation du parti aux prochaines législatives.

Ensuite, j’ai participé à la présidentielle dans un seul but. Je voulais proposer aux Algériennes et aux Algériens un autre choix possible et une alternative crédible d’une part, et offrir l’opportunité à mes compagnons depuis 2004 de construire un parti politique, d’autre part. On nous a crédités d’un million quatre-cents-mille voix alors que les élections étaient totalement fraudées. Ce sont ces personnes qui ont demandé de créer le parti.

Donc, vous étiez à l’époque convaincu qu’il allait y avoir de la fraude ?

Bien sûr ! Comment douter de cela quand le Premier ministre est directeur de la campagne électorale et quand toute l’administration se range du côté d’un candidat ?

Les partis islamistes ont constitué des alliances. Quel est l’avenir de l’Icso ?

Je pense que les observateurs et les analystes ne devraient pas se précipiter à déclarer le décès de l’Icso et se garder de l’enterrer trop vite. Tous les regroupements de partis et les partis eux-mêmes peuvent faire face à des phases de turbulences. L’important est de savoir traverser ces phases de turbulences et de ne pas se laisser emporter par elle.

L’Icso est une instance de concertation. Elle n’a jamais été créée pour dicter leurs choix électoraux aux formations politiques qui la composent. Si tel avait été le cas, elle n’aurait certainement jamais vu le jour. L’Icso a été créée dans un seul but : celui de revendiquer une transition démocratique. C’est un acquis précieux pour le pluralisme politique dans notre pays qui est fragile et encore vulnérable aux coups de boutoir du régime politique en place.

Nous nous sommes déjà donné rendez-vous après la tenue des élections et on fera alors le bilan. Nous conviendrons de ce qui est encore possible d’entreprendre ensemble. Mon intime conviction est que l’Icso saura traverser la phase de turbulence à laquelle elle a été confrontée dans sa configuration actuelle ou une autre. Si ses membres le souhaitent, elle demeurera indispensable pour faire avancer le projet de transition démocratique.

Quelle utilité pourrait avoir l’Icso au moment où les partis islamistes se constituent en bloc ?

Dans la vie politique, il est tout à fait normal que les partis se constituent en bloc et concluent des alliances. Le rôle de l’Icso est de demander une transition démocratique. Tous les membres de l’instance sont d’accord sur ce point.

Cela fait trois ans que l’instance a été créée. On ne voit rien de concret à part vos réunions de concertation et vos communiqués de dénonciation…

Depuis sa création, il y a eu deux plateformes, des réclamations et des demandes qui n’ont pas été satisfaites par le pouvoir. Nous sommes toujours unis pour faire la même demande. C’est un travail politique permanent qui ne s’arrête pas. Nous ne sommes pas dans la violence.

Les rapports de force ne sont-ils pas trop défavorables à l’opposition dite « démocratique » ?

Je ne pense pas. Vous pouvez tirer ce genre de conclusions quand vous avez des élections réellement démocratiques en Algérie. Quand le peuple algérien sera libre de décider de son sort, on connaîtra la réalité de ce qui se passe sur le terrain politique. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’élections démocratiques, donc personne ne peut dire : je suis le premier ou le dixième parti politique dans le pays.

La visite d’Angela Merkel a été annulée à cause de la maladie du Président. Vous ne parlez plus de vacance du pouvoir. Pourquoi ?

Je ne parle plus de vacance du pouvoir parce qu’il y a plus grave, c’est l’impasse politique. Aujourd’hui, l’État n’est plus géré. La crise politique s’aggrave et les forces extra constitutionnelles se sont emparées des cercles du pouvoir. La crise économique est là et elle est même très grave. Pour ce qui est de l’état de santé du Président, je n’en sais pas plus que tous les Algériens. C’est-à-dire, ce qui est porté à notre connaissance à travers les communiqués de la présidence de la République. Je ne peux pas faire davantage de commentaires sur le sujet.

Qui sont ces forces extra constitutionnelles ?

Je ne sais pas ! Vous avez plus d’une dizaine de décisions qui ont été prises au plus haut niveau de l’État à l’automne avant d’être modifiées. Je peux vous citer par exemple la loi relative à la retraite.

Le président Bouteflika ne gère plus le pays ?

Ce que je peux dire est qu’il est anormal qu’il n’y ait que quatre ou cinq conseils des ministres par an. Il est anormal que dans une situation grave, le Président ne s’adresse pas à la Nation. Il est aussi anormal que le Président ne soit pas présent dans des sommets internationaux très importants et surtout ceux qui s’intéressent à la sécurité. Cela est plus grave que la vacance. Donc, est-ce que gérer normalement un pays peut donner lieu à des situations pareilles ? Absolument pas.

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En 2014, des personnalités politiques ont appelé à l’application de l’article 88 de la Constitution. Est-ce que cette demande est toujours d’actualité ?

Je ne me situe pas dans cette thèse. J’estime que les institutions ne fonctionnent pas normalement dans notre pays. Donc, à qui va-t-on demander l’application de cet article ? Le Parlement et le Conseil constitutionnel sont aux ordres. Nous avons une crise politique qu’il faut régler. Et celle-ci ne peut l’être que par une transition démocratique.

Notre parti a fait une proposition pour la sortie de la crise. Pour nous, la transition démocratique passe par des élections totalement libres, honnêtes, propres et à tous les niveaux : présidentielle, législatives et locales. Les forces politiques qui émergeront de ces élections seront dépositaires de la souveraineté nationale et auront la responsabilité de conduire cette transition à travers un gouvernement d’union nationale. Viendra par la suite l’adoption d’une nouvelle constitution et l’adoption d’un pacte de gouvernance. Le tout sera garanti par l’armée nationale populaire.

Quel sera concrètement le rôle de l’armée dans ce processus ?

L’armée aura pour mission de garantir le pacte politique auquel arriveront les forces politiques qui auront gagné les élections propres et honnêtes. S’il y a une tentative de dépassement quelque part, l’armée interviendra pour l’éviter. Elle aura un rôle de suivi et d’accompagnement de la transition démocratique. Elle ne se mêlera pas des choix des hommes, ni dans les élections. Elle aura à faire respecter le pacte. Il appartiendra aux forces politiques et au pouvoir en place de s’entendre sur une sortie de la crise.

Les proches du Président parlent aujourd’hui d’un cinquième mandat. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi l’élection présidentielle de 2019 est encore loin. D’ici là, beaucoup de choses peuvent intervenir. Qui sait sur quoi va déboucher l’impasse politique actuelle ? Qui connait le degré de gravité que pourrait atteindre la crise économique et sociale actuelle ? Qui peut deviner les conséquences de la montée des tensions sociales actuelles ? En tous cas, pas moi.

Certains cercles évoquent la possibilité du cinquième mandat. Faut-il les prendre au sérieux ? Je ne sais pas. Ce que je sais par contre, comme tous les Algériens d’ailleurs, est vers où le quatrième mandat a mené le pays. Il l’a figé dans l’espace et le temps. Le pays n’est plus géré. Il n’est plus incarné à l’intérieur comme à l’extérieur. Les institutions sont en état de panne quasi-généralisé. Les États du monde changent ou avancent. Notre État stagne ou recule. Dans ces conditions, le cinquième mandat constituerait un véritable saut dans l’inconnu qui n’a rien de rassurant pour le pays.

Ceux qui entretiennent l’idée d’un cinquième mandat, même comme hypothèse, n’imaginent pas tous les torts qu’ils occasionnent au pays et tous les périls qu’ils font peser sur lui.

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Faut-il empêcher une telle perspective ?

Je suis un homme politique. J’analyse la situation politique et au vu de l’analyse, je tire des enseignements et des conclusions et je prends des positions. Nous n’en sommes pas encore là. Là, vous parlez de l’inconnu.

Croyez-vous à un changement qui émanerait du système lui-même ?

Personnellement, j’ai choisi mon camp. Lutter pacifiquement avec les militants qui m’accompagnent pour demander à ce qu’il y ait un changement ordonné graduel pacifique entre le pouvoir et l’opposition pour arriver à une solution pour l’Algérie. On ne peut pas rester en tant qu’État anti-démocratique. Les fausses solutions nous ont conduits là où nous sommes actuellement. Je crois et je milite pour un changement pacifique.

Ahmed Ouyahia a défendu et assumé l’instruction concernant Ali Belhadj et l’a justifiée en évoquant l’intérêt et la sûreté de l’État. Comprenez-vous cette mesure ?

Je ne peux comprendre que ceux qui viennent d’une justice réellement indépendante. Il n’appartient pas à l’Exécutif de décider lui-même de restreindre les libertés. C’est au pouvoir judiciaire indépendant d’agir comme il se doit dans le respect des lois.

En réalité, cette instruction n’a surpris que ceux qui voulaient bien se laisser surprendre. Dans notre système politique, elle n’a rien de particulièrement inédit ou de particulièrement étonnant. Notre système politique n’est pas un système de séparation ou d’équilibre de pouvoirs, c’est un système de confusion de pouvoirs. Dans la mesure où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de l’institution présidentielle, il ne faudrait pas s’étonner qu’elle instrumentalise la justice comme elle instrumentalise le Parlement ou le Conseil constitutionnel. Le seul mérite de cette instruction est de révéler au grand jour jusqu’à quel point l’institution présidentielle est omnipotente et jusqu’à quel point l’indépendance de la justice est malmenée.

Date: 23/02/2017

Author: Hadjer Guenanfa

Source: http://www.tsa-algerie.com/20170223/ali-benflis-ceux-qui-entretiennent-lidee-dun-cinquieme-mandat-nimaginent-pas-tous-les-torts-quils-occasionnent-au-pays/